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La HVE : un énième label incompréhensible ?

Une pléiade de labels fleurisse dans les étals de nos commerçants et promettent toujours plus sur la qualité et le respect de l’environnement et de l’animal. En France, nous dénombrons plus de 400 signes de distinction de produits alimentaires dont les plus connus sont le LABEL ROUGE, AOC, AOP et BIO mais aussi bien d’autres que nous avons de plus en plus de mal à positionner comme les Zéro Résidu de pesticides, Agri Confiance, Demeter, Bleu Blanc Cœur, Nature et Progrès, Bio équitable en France, etc. Cette forêt dense de distinctions s’est enrichie en 2012, du label Haute Valeur Environnementale ou HVE. Mais Quésako ? Pourquoi un nouvel label ? Mais, que promet-il ? Est-il meilleur que les autres ? Et le prix sur les étals et aux producteurs ?

Sans concession et sans langue de bois, les sujets sont posés sur la table avec M. Josselin SAINT RAYMOND, Dirigeant de l’Association Nationale Pommes Poires et Secrétaire Général de l’Association de Développement de la HVE et avec M. Christophe BONNO, Directeur des relations agricoles pour les MOUSQUETAIRES INTERMARCHE. Ils nous exposent via un regard croisé leur vision de l’agriculture, du commerce de détails et de l’avenir de ces labels.

TOP DEPART, GO !

Le principe de la certification Haute Valeur Environnementale a été créée en 2007 au cours des discussions du grenelle de l’environnement et concrètement aboutie et mise en œuvre en 2012. La certification HVE est structurée sur 3 niveaux : niveau 1, niveau 2 et niveau 3 qui permet d’accéder à la distinction Haute Valeur Environnementale. Le processus de certification s’appuie sur des indicateurs mesurant la performance environnementale des exploitations agricoles sur 4 thématiques : la préservation de la biodiversité, la stratégie de protection phytosanitaire, la gestion de la fertilisation et de l’eau d’irrigation. L’agriculteur met en œuvre des pratiques dont l’efficacité est évaluée dans le cadre d’un audit, réalisé par un organisme certificateur agréé par le ministère de l’agriculture, tous les 18 mois. La certification HVE correspond au niveau le plus élevé du processus de certification. La certification est une reconnaissance d’état délivrée conjointement par le ministère de l’agriculture et de l’environnement.

Josselin SAINT RAYMOND : « Bien avant le démarrage du projet HVE, dans l’Association Nationale Pommes Poires, depuis 1996, nous travaillions sur une chartre de production intégrée visant à réduire l’usage des produits phytosanitaires. Naturellement, nous étions en veille sur le sujet des mentions permettant de valoriser le travail des arboriculteurs. Le processus de certification HVE nous ait apparu comme une solution permettant de valoriser nos efforts de production. En 2012, nous avons soumis la chartre de production des pomiculteurs de France à la commission nationale de certification : nous avons été la première démarche collective nationale reconnue niveau 2 de la certification HVE. En 2018, nous avons pris un engagement qu’à l’horizon 2022, 50 % de nos adhérents devaient être certifié HVE : au moment où je vous parle, nous avons d’ores et déjà atteint cet objectif ! »

Christophe BONNO : « Chez INTERMACHE & NETTO, nous sommes producteurs et commerçants : nous avons 60 usines et 23 bateaux de pêche. Cette spécificité nous permet de fabriquer nos propres produits de marque distributeur. Notre objectif est de travailler notre différenciation avec nos marques de distributeur pour fidéliser nos clients à nos enseignes. Depuis 50 ans, nous avons des relations étroites avec les producteurs agricoles car ce sont eux qui approvisionnent nos usines en produits frais. Dans le cadre de notre stratégie « Mieux produire pour mieux manger », nous examinons l’évolution des demandes des consommateurs. L’amélioration des pratiques agricoles fait partie des demandes et c’est dans le cadre d’une réflexion sur ce sujet que nous avons été séduits par la démarche HVE. Contrairement au BIO, la HVE représente un plan de progrès pour l’agriculture conventionnelle tout en conservant un prix toujours attractif ! » 

Josselin SAINT RAYMOND : « Si je prends les exploitations arboricoles, qu’est-ce que veut dire la Haute Valeur Environnementale : préserver la biodiversité et développer des zones favorisant la biodiversité comme des haies, faire attention à l’usage de l’eau, réduire l’usage des produits phytosanitaires et introduire les méthodes complémentaires et alternatives comme le bio-contrôle, les luttes intégrées, etc. Les critères d’évaluation de la HVE sont très vastes, on explore l’intégralité du champs agronomiques. »

Le nombre d’exploitations certifiées HVE, niveau 3, n’a cessé de croitre depuis 2012.

Figure 1 : Évolution du nombre d’exploitation ayant réalisé l’ensemble du processus de Certification Environnementale des Exploitation (C2E) et bénéficiant de la mention « Haute Valeur Environnementale (janvier 2012 à juillet 2020), Source HVE-Asso.com

Christophe BONNO : « Lors d’entrevues avec des producteurs, j’ai trouvé cela génial car j’ai rencontré des agriculteurs écolo convaincus qui prennent beaucoup de risques pour tester et développer des pratiques plus vertueuses. Il faut bien comprendre que le temps d’expérimentation en agriculture est le cycle du végétal ou de l’animal : cela peut prendre plus d’un an. Le temps agricole n’est pas le temps de l’industrie ou d’autres activités économiques qui ont des cycles de production largement inférieur et où le temps de l’apprentissage est beaucoup plus court. C’est dommage que le consommateur ne voit pas cet engagement et cette énergie déployés par les producteurs ! Fort de ce constat, nous avons lancé une filière HVE en blé, avec la coopérative Oxyane et un moulin de proximité et nos usines fabriquent le pain. Nous avons donc du pain HVE dans nos rayons depuis maintenant 4 à 5 ans. »

Josselin SAINT RAYMOND : « L’intérêt de la Haute Valeur Environnementale est que nous parlons d’objectifs et non d’une obligation de moyens ou de respect de cahier des charges. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que quand une exploitation va être labellisée HVE, elle aura atteint les objectifs fixés par la certification sur les différentes thématiques environnementales. Et, les solutions mises en oeuvre pour atteindre les objectifs seront très certainement différentes d’une ferme à une autre, d’une région à une autre, suivant le contexte de production ou pédoclimatique ou de qualité de sol, etc. La véritable force de la HVE par rapport à d’autres labels c’est la capacité de l’agriculteur à développer ses propres solutions techniques pour atteindre les objectifs fixés par la certification et non le simple
respect d’un cahier des charges qui souvent ne s’applique pas à la diversité des cas agricoles rencontrés.
»

Le label HVE est un label complexe qui fait appel à un référentiel composé d’environ 25 critères qui rapportent chacun des points.  Selon que le critère est plus ou moins satisfait, la note peut varier de 2 à 10 points. Il y a 4 familles de critères pour un total de 166 points ventilés comme suit :

  • La préservation de la biodiversité (33 points)
  • La gestion de la ressource en eau (27 points)
  • La gestion de la fertilisation (46 points)
  • La stratégie phytosanitaire (60 points)

Au cours du contrôle, l’auditeur doit mesurer l’efficacité des procédés développés par l’agriculteur sur son exploitation et définir le niveau de performance atteint et donc la note sur le critère évalué.

La réglementation propose deux voies de certification : voie A ou voie B. Dans la voie A, l’approche de certification s’appuie sur le référentiel des critères précédemment énumérés. L’agriculteur, après son audit, doit justifier d’une note minimale de 10 par famille de critères pour obtenir la certification HVE. La voie B est une certification plus globale qui s’appuie sur deux critères :

  1. Le poids des intrants dans le chiffre d’affaires de l’exploitation agricole doit être inférieur ou égal à 30 %
  2. Le pourcentage de la surface agricole utile (SAU) en infrastructures agro-écologiques doit être supérieur ou égal à 10 % ou Le pourcentage de la SAU en prairies permanentes de plus de 5 ans doit être supérieur ou égal à 50 %

Là, où le LABEL BIO, par exemple, a développé une promesse simple « aucune utilisation de produits chimiques de synthèse », le label HVE va demander un effort de compréhension pour le consommateur pour qu’il se saisisse du contenu de la certification. 

Josselin SAINT RAYMOND : « La complexité de la HVE est surement son principal problème. Du coup, développer un levier de communication simple « la HVE, c’est ça » est très compliqué ! La production agricole est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît ! Précédemment, nous évoquions le sujet du positionnement de la certification HVE dans l’échiquier des labels déjà présents, si nous prenons le sujet de l’usage des antibiotiques en élevage BIO, le cahier des charges est clair à comprendre : interdiction de l’usage des antibiotiques. Mais, il y a une dérogation pour 2 utilisations par an. En parallèle, la moyenne des antibiotiques utilisées en agriculture conventionnelle est de 1,7 par an. Donc, d’un côté on a le label BIO qui développe un message simple « pas d’antibiotique » et qui en utilise potentiellement 2 et l’agriculture conventionnelle qui communique les statistiques d’usage et confirme en utiliser 1,7. Que devons-nous en penser ? » 

Christophe BONNO : « Ce que nous constatons est qu’en matière de label, le Label Rouge est loin devant les autres labels avec une mesure de la notoriété supérieure à 92 % chez les consommateurs. Le BIO jouit d’une véritable notoriété aussi. Par contre, la HVE n’est absolument pas connu et présente un niveau de notoriété très faible, approchant les 10 %. Et, le problème est là ! Le consommateur achète le logo sans savoir ce qu’il y a dedans. D’ailleurs, une étude consommateurs, réalisée par les étudiants de l’école d’Angers, démontre le potentiel de ce label lorsqu’il est expliqué : le résultat de l’étude démontre qu’en terme d’élasticité des prix, le consommateur serait prêt à payer ce label à un prix avoisinant celui du BIO. Or, aujourd’hui, nous n’arrivons pas à valoriser la HVE. Nous achetons du blé plus cher et nous comprimons nos marges pour proposer une baguette de pain à un positionnement prix acceptable. Pour nous, le marché n’existe pas. Le BIO a mis 30 ans à se développer : combien de temps pour la HVE ? 

Malgré tout, même si nous observons que les intentions d’achat sont toujours pilotées par le prix, nous notons une part de plus en plus croissante de consommateurs qui achètent des produits sous distinctions. Nous sommes obligés de répondre à cela et c’est ce que nous appelons la montée en gamme. C’est pour cela que les produits doivent être identifiés pour qu’ils répondent aux besoins de plus en plus segmentés des consommateurs. »

Une étude très récente de GREEN PEACE, WWF et UFC Que Choisir met sur la sellette les promesses des labels en les évaluant comparativement grâce à une méthode développée pour l’étude. Selon les protagonistes, l’objectif de l’étude est de vérifier la conformité aux promesses exprimées des labels. En préambule, cette étude confirme bien que l’étiquetage reste la principale source d’information pour 89 % des consommateurs[1] et que pour autant 73 % ne ferait pas confiance aux labels en général[2].

Les résultats de l’étude sont sans appel, les auteurs témoignent : « Les démarches partageant le socle de l’agriculture biologique (AB, Bio Equitable en France, etc.) obtienne les bénéfices socio-économiques et environnementaux avérés les plus forts ». Les notes obtenues oscillent entre 3 et 5 sur 5). A contrario, « les démarches partageant le socle de la certification environnementale (AgriConfiance, zéro résidus de pesticides et la certification HVE) ont les effets positifs les plus faibles et les moins avérés des démarches étudiées » concluent les instigateurs de cette étude. La note de 1 sur 5 sanctionne ces labels.

Christophe BONNO : « En effet, les résultats ne sont pas bons mais c’est compréhensible car la certification HVE est basée sur la recherche de résultat, c’est un plan de progrès alors que les autres labels sont basés sur des moyens à mettre en oeuvre : obligatoirement, il est difficile de les comparer entre eux et on mélange les choses. Autre chose qui est important pour nous commerçants, c’est le prix. A aucun moment cette étude ne s’interroge sur la notion de coût et de faisabilité technique. Si nous prenons les mauvais résultats du porc label rouge dans cette étude en comparaison du poulet label rouge, il faudrait modifier les pratiques de production du porc et augmenter substantiellement le prix du porc. Or, ce qui n’est pas dit dans cette étude est que le marché du poulet label rouge s’effondre au profit du poulet importé qui représente plus de 40 % de la consommation en France. Cela doit interroger notre vision de l’agriculture et des pratiques réelles de consommation : est-ce que demain notre vision est d’importer de Pologne 80 % de notre consommation de poulet ? Le baromètre de nos ventes est le juge de paix sur les réelles attentes des consommateurs et nous constatons que des lignes de produits se développent et d’autres régressent. Par exemple, le marché du BIO régresse de – 1 à – 2 % sur certains produits : nous avons connu une hausse des ventes à deux chiffres ces dernières années mais nous constatons maintenant un véritable frein dû au prix ! Nous sommes à 30 % de parts de marché du bio pour les oeufs, nous n’irons pas plus loin. Idem pour le lait. Il faut être extrêmement vigilant sur les conversions d’exploitations agricole en BIO, la croissance du marché n’est plus aussi dynamique. Il faut trouver des relais de croissance avec des produits de qualité à des prix intermédiaires et la certification HVE est une certification de progrès qui a un réel potentiel mais c’est un segment qui reste à construire. »

Josselin SAINT RAYMOND: « C’est une formidable opération de lobbying des pro BIO contre tout ce qui n’est pas BIO. Pour moi, cette opération démontre bien la valeur de la Haute Valeur Environnementale car, si celle-ci ne valait rien, ils n’auraient pas la volonté d’être autant à charge et ils ne prendraient pas le risque d’investir autant d’argent pour nuire à la HVE. Les lobbys du BIO sont derrière cette étude. Aujourd’hui, c’est « un secret de polichinelle ». GREENPEACE est financé par des entreprises qui font du commerce de BIO et GENERATION FUTURES également. De plus, si vous n’êtes pas dans l’interdiction des pesticides de synthèse, vous êtes forcément mal noté alors que le BIO sans pesticide de synthèse est un mensonge absolu car toutes les molécules utilisées en agriculture biologique sortent d’un laboratoire et sont synthétisées. Pour la HVE, la difficulté est d’expliquer ce qu’elle représente. D’un côté, vous avez des professionnels et des organisations agricoles qui se lancent dans la reconnaissance Haute Valeur Environnementale sur des éléments factuels et de l’autre côté vous avez des militants qui se positionnent avec des messages très simplistes sur des sujets complexes. Ce qui est gênant dans ces attaques, c’est le discrédit sur l’agriculture française, quelle qu’elle soit. Si je pense intérêt général et que je me place en tant que citoyen, je pense qu’il faut envisager toutes les solutions techniques pour avoir une agriculture la plus durable possible qui préserve nos ressources et qui soit capable de nourrir les générations à venir.»

Après ce regard croisé sans concession, plein d’optimisme et de défis, Josselin et Christophe vont se prêter au jeu des propositions pour améliorer les conditions de développement de la HVE en France :

La proposition de Josselin SAINT-RAYMOND :

Ajouter un pilier dans la certification relatif au stockage du carbone.

« Pour moi, il y a un triptyque indissociable : biodiversité, stockage carbone et eau. La couverture permanente des sols est nécessaire pour un stockage carbone performant. Cela suppose de le maintenir vivant grâce à l’irrigation si cela s’avère nécessaire. Cette couverture permettra également de préserver la biodiversité en lui offrant le gîte et le couvert tout au long de l’année. »

La proposition de Christophe BONNO :

Demander aux ministères de l’agriculture et de l’environnement de débloquer le budget de 2 millions d’€ déjà alloués pour la communication sur la certification HVE !

« Le label HVE est un label très jeune au regard de tous les autres et il faut le soutenir et l’expliquer. Les deux ministères ont bloqué un budget de communication de 2 millions d’€ qu’il faut activer sans délai pour promouvoir cette certification auprès des consommateurs. »

M. Josselin SAINT-RAYMOND et M. Christophe BONNO, nous vous remercions pour ce regard croisé passionnant et pour vos propositions qui ne manqueront pas d’alimenter de futurs débats lors de la journée « Réussir l’HVE » le 18 novembre prochain !
Semaine prochaine, épisode #2 de la story HVE, qui promet d’être tout aussi passionnant, avec Mme Sandrine DOPPLER, experte en transition et innovation alimentaire, qui va nous aider à décrypter les habitudes comportementales du consommateur et mieux appréhender le pouvoir des labels ! En plus, nous aurons le plaisir d’accueillir un agriculteur qui croque l’agroécologie à pleine dents qui va nous expliquer comment il a adapté sa ferme à ses nouvelles pratiques.
A la semaine prochaine.


[1]  Résultats de l’enquête LinKQ Worldpanel Label menée en septembre 2019 auprès de 11 701 répondants

[2]  Etude Opinion Way/ French Food Capital, 2018

Un article de Laurent BERNEDE

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