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Le consommateur est-il vraiment réceptif aux distinctions de qualité ?

La France, le pays de la gastronomie, reconnu mondialement pour son excellence, opère aussi sa transition alimentaire depuis quelques années maintenant. Avec un budget consacré à l’alimentation sans cesse érodé, le consommateur français consomme en étant sous influence. Le prix reste et restera le facteur prépondérant de l’acheteur devant son étal mais nous assistons à une ultra segmentation du processus d’achat qui donne des sueurs froides à tous les marketeurs de l’agro-alimentaire et des opérateurs des différents canaux de distribution. Spécialités culinaires d’autres traditions, alimentation équitable ou Bio, restauration au domicile ou hors domicile, Nutriscore A ou E, grande marque ou marque distributeur, magasin spécialisé ou grande surface, alimentation du bout du monde ou produit local, Amazone ou marché fermier, etc. Nous pourrions penser qu’il existe autant de levier de segmentation que de consommateur ! Non, quand même pas ! Sandrine DOPPLER, experte en transition et innovation alimentaire, est au cœur de cette complexité. Elle va nous aider à y voir plus clair dans un milieu où le marketing et les processus de distribution sont rois !

Sandrine DOPPLER

Bonjour Sandrine, avant toute chose, les distinctions de qualité ça marche comment ?

Sandrine DOPPLER : « Il y a 4 grandes familles de distinctions. Premièrement, il y a les labels garants de qualité et de tradition reconnus par les pouvoirs publics avec un cahier des charges et une certification. Dans cette famille, nous avons, par exemple, le label AB. Ensuite, nous avons les labels qui ont vu le jour pour lutter contre les fraudes, par exemple, les Labels Rouges et AOP qui défendent un savoir-faire traditionnel et localisé. Troisième catégorie, nous avons les labels qui ont été poussés par les marques de distributeur qui, eux-mêmes, ont poussé les grandes marques à créer leur propre marque de reconnaissance : nous trouvons les distinctions « Saveur de l’année », « Elu produit de l’année », etc. Ici, il s’agit de promesses marketing et je ne suis pas certaine que le consommateur sache que pour être «Saveur de l’année » ou « Produit de l’année », les marques payent ! Cette troisième famille est assez confusante ! Et, pour finir, nous avons une nouvelle catégorie : les labels issus du développement durable et du commerce équitable. Sur cette dernière catégorie, je mets au défi les consommateurs de savoir ce qu’est « équitable » ou « durable » ? Il s’agit de mots génériques posés sur un emballage, il est difficile de comprendre ce qu’il y a derrière : la promesse n’est absolument pas claire !

Où se situe la HVE dans cet échiquier des distinctions ?

Sandrine DOPPLER : « Le Label HVE est à cheval entre la catégorie 1 et 4. Et ce positionnement est assez bancal. Nous sommes bien en présence d’un label sous certification mais le positionnement marketing n’est pas clair pour les consommateurs. La promesse pourrait s’apparenter à du « durable » mais malheureusement ce positionnement n’est pas très consistant au regard des intentions d’achat. Là aussi, je vous mets au défi de m’expliquer avec des mots simples ce qu’est la Haute Valeur Environnementale ?

Ce label est très jeune et souffre de notoriété. »

Comment le consommateur doit-il arbitrer ses choix face à du Label Rouge, de l’AOC, des différents gradients de verdure de production, de l’équitable, de saveur de l’année, etc. ? N’y-a-t-il pas trop de critères ?

Sandrine DOPPLER : « Tout d’abord, le consommateur est devenu plus exigent qu’avant. Il s’intéresse de plus en plus à ce qu’il mange mais le juge de paix en matière d’achat alimentaire reste le porte-monnaie ! Suivant sa profondeur, les choix sont différents. Nous aurions tendance à penser, surtout à Paris, que tout le monde se nourrit avec des produits fins ou durables mais ce n’est pas vrai. Il y a une alimentation à plusieurs vitesses en France. Par exemple, nous l’avons vu que pendant la crise de la COVID, le principe de 3 repas par jour n’était pas acquis pour tout le monde :  des enfants dans le 93 n’avait qu’un repas par jour, le petit déjeuner. Juste pour descendre en pression sur ces thématiques-là, le problème de la distinction des produits alimentaires n’est pas un sujet pour tout le monde. Ceci étant dit, toutes les enquêtes de consommation démontrent que le consommateur modifie ses critères de valeurs, il veut faire attention à la planète et à sa santé, veut du durable et du bien-être animal, etc. J’appelle ça « le syndrome du micro tendu » où les gens disent dans l’idéal ce qui leur semble être bon pour eux mais ces intentions ne se traduisent pas forcément par des actes. Pour nommer ce syndrome d’une autre façon, j’appelle ça le « paradoxe du consommateur dé responsable ». Et, nous l’avons tous vu pendant le confinement où FERRERO a mené des opérations commerciales retentissantes sans que les vertus écologiques du NUTELLA aient été clairement démontrées. Je pense qu’il est important de déconstruire ces évidences. De la même façon, il faut pondérer l’engouement pour le véganisme : j’ai du mal à croire qu’en 5 ans nous sommes tous devenus végétariens. Si nous regardons les statistiques des ventes en livraison à la maison : le plus livré en France est le burger ensuite nous avons la pizza et en troisième position les tacos.

Alors pourquoi l’industrie agroalimentaire développe autant de distinctions ?

Sandrine DOPPLER : « Attention, les labels sont des points de repère pour le consommateur. Quand vous faites vos courses, devant un rayon, vous êtes plus facilement attirés par des marquages que vous connaissez comme le Label Rouge ou AB que les autres : d’où l’intérêt d’avoir des labels qui ont de la notoriété. Par contre, une étude récente de KANTAR qui démontre que même la notoriété du Label ne fait pas forcément acheter : cela questionne à la fois le degré de confiance que l’on attribue au label et son prix. Par contre, au niveau des tendances actuelles, il y a des labels qui font vendre. Par exemple, nous avons les « Sans conservateurs », « Sans huile de palme », « Sans colorants », « Sans gluten », etc. et aussi les « Viandes de France », « Fabriqué en France », « Origine France », etc.

Est-ce que cette hyper segmentation est durable ?

Sandrine DOPPLER : « Oui, je pense. Pour moi, à l’heure actuelle, il y a deux circuits alimentaires liés au pouvoir d’achat des ménages. Nous avons les ménages aisés qui vont privilégier les produits labellisés et qui vont être sensibles aux promesses ultra positionnées sur les thématiques en vogue à l’heure actuelle. Les marketeurs détectent les tendances et proposent des évolutions de recette, créent de nouvelle marque, de nouvelles expériences, de nouvelles distinctions, etc.

Et, en face, nous avons un autre modèle qui est en charge de nourrir le plus de monde possible.  Et cela m’inquiète car même si ces consommateurs sont intéressés par les thématiques à la mode, ils recherchent le meilleur prix. Nous sommes dans un autre paradoxe du vouloir bien manger, pas cher. A cela, on ajoute des consommateurs qui cuisinent de moins en moins, qui se restaurent de plus en plus en hors domicile et qui finalement se dirigent vers une alimentation très transformée : et là, les industriels sont beaucoup valeureux sur les promesses !

Il est important de bien distinguer ces deux circuits alimentaires et de ne pas prendre le raccourci qui revient à dire : tout le monde est préoccupé par la planète, le réchauffement climatique, le rapport du GIEC, etc. Ce n’est pas vrai et il est urgent de sortir de cette bulle pour trouver des solutions qui permettront de nourrir tout le monde avec des produits de qualité.

Dans cette fioriture de marques, de distinctions et de Labels, finalement à quoi se raccroche le consommateur ?

Sandrine DOPPLER : « Une étude scientifique, réalisée par Mme Fabienne CHAMEROY et Prof.Dr. Jean-Louis CHANDON, classe les labels selon qu’ils suscitent de la grande confiance ou à contrario de la méfiance selon le niveau de garantie du Label.

Figure 1 : Position de 21 labels selon trois niveaux de confiance et trois fonctions du label, extrait de l’étude « Les labels sont-ils tous éthiques ? » de Mme Fabienne CHAMEROY et Prof. Dr. Jean-Louis CHANDON

On notera que les labels « greenwashing » ou « sans garantie réelle et sérieuse » suscitent de la méfiance. Le fait de dire que l’on fait des choses pour l’environnement, par exemple, sans en amener la preuve est une voie très scabreuse car le consommateur se méfie. Je pourrai vous citer des exemples d’entreprises qui se sont achetées une virginité en terme de communication et qui ont été poursuives pour des actes pour le moins répréhensibles mettant à mal la confiance qu’ils ont créée avec le consommateur. Et, sur ce sujet, le consommateur a de la mémoire et il se méfie des grandes promesses !

Comment doit se positionner la HVE dans cet échiquier ?

Sandrine DOPPLER : « Sur ce point précis, la HVE doit réaliser un travail d’introspection pour définir ce qu’il est vraiment et affiner son positionnement marketing en justifiant ses promesses. Sans ça, la HVE tombera très rapidement dans la famille des labels « Greenwashing » dont les consommateurs se méfient. Quelles sont les têtes de liste des distinctions incitant à l’achat : 85 %, c’est « Origine France », « Garantie Viandes de France », « Fabriquée en France », « Sans huile de palme », « Sans nitrite », « sans arôme artificiel », etc. Il s’agit de chose concrète, mesurable, facile à comprendre et à garantir. Quand on parle de la HVE, les choses sont moins claires, le consommateur a beaucoup plus de mal à s’en saisir et du coup, il se méfie. Il est facile de croire qu’il s’agit encore d’une énième promesse sans véritable lendemain. Les consommateurs n’ont pas forcément une conscience supranationale en voulant sauver le monde mais ils veulent comprendre ce qu’on leur dit et que les promesses puissent être justifiables. Il s’agit du point faible de la HVE. »

La HVE serait-elle embourbé dans une problématique marketing ?

Sandrine DOPPLER : « Oui, bien entendu, cela me semble criant ! La base en marketing est de bâtir une promesse et de savoir la justifier. La HVE est en difficulté sur ce point-là. Elle doit clarifier rapidement sa position sur le marché et bâtir une promesse cohérente et justifiable. Sans ça, la marque HVE ne pourra pas susciter d’acte d’achat, c’est aussi simple que ça et ne parlons même pas d’augmenter les prix et de meilleure rémunération pour l’agriculteur ! »

Merci beaucoup Sandrine pour la franchise de votre témoignage et les éclairages que vous nous avez offerts, il y a matière à réfléchir pour peut-être affiner la stratégie de développement de la HVE. Justement, Sandrine, dernière question, quelle serait votre proposition pour améliorer les conditions de développement de la HVE en France ?

La proposition de Sandrine DOPPLER :

-> Sans surprise avec mes propos, la création d’une stratégie marketing permettant de vendre le label HVE

Nous avons bien compris les propos de Sandrine DOPPLER sur la méfiance du consommateur vis-à-vis des labels qui ont une promesse difficile à justifier. Pour avancer dans notre story de la HVE, nous allons lever le capot de cette certification et mieux comprendre le contenu et l’impacts des nouvelles pratiques agricoles dictées par la certification HVE : Greenwashing ou véritables avancées ? Dans l’épisode #3, Mme Alessandra KIRSCH va nous permettre de rentrer dans le concret de la certification. A la semaine prochaine !

Un article de Laurent BERNEDE

En savoir plus sur la Conférence Réussir la HVE