You are currently viewing HVE : les agriculteurs (encore plus) fiers de leurs pratiques ?

HVE : les agriculteurs (encore plus) fiers de leurs pratiques ?

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Réussir la HVE

Pour clôturer cette série d’épisodes de la première story HVE, nous allons partir à la rencontre d’agriculteurs qui ont pris le sujet de la certification HVE à bras le corps mais qui ne l’ont pas attendu pour développer l’agroécologie. Quand entrepreneur rythme avec agriculteur cela donne des témoignages très enthousiasmants qui ouvrent le champ des possibles. « Oser » est surement le mot qui caractérise ces agriculteurs, ils ont osé de nouvelles cultures, ils ont osé de nouvelles pratiques, ils ont osé investir dans de nouveaux ateliers, ils ont osé dépasser les dogmes agricoles et franchir des étapes en termes d’indépendance de pensée, ils ont osé passer outre le regard des voisins, ils ont osé… Il est toujours rassurant d’être dans une forme de protection de soi, le mouvement fait peur, il nous plonge dans un inconnu et puis il y a « le qu’en dira-t-ton » ! Eux, ils ont fait abstraction de tout ça et ils ont foncé. Ils ont sûrement du échouer à certain moment mais ils ont largement réussi à d’autres. A toutes les personnes qui s’interrogent sur les pratiques agricoles ou sur la pertinence de la certification HVE, il serait de bon ton de répondre par ces témoignages… et, ils ne sont pas seuls, ils sont des milliers à agir et à innover… et qui doivent être fiers de leur travail !

Sous nos projecteurs aujourd’hui, deux agriculteurs : M. Laurent HAYE, agriculteur productions végétales dans l’EURE et M. Bruno CALLE, éleveur laitier puis producteur d’énergie puis producteur de plaquettes de bois puis…

Bonne découverte !

Laurent HAYE

M. Laurent HAYE, pourriez-vous nous présenter votre ferme ?

Laurent HAYE : « Je suis dans le département de l’Eure, sud-ouest du département de l’Eure. Je me suis installé en 2000 et ma ferme totalise 250 ha. Je suis spécialisé dans la production végétale : céréales (blé, colza, épeautre et sarrazin), lin textile puis, plus récemment dans des légumineuses comme le pois, le pois chiche et 3 variétés de lentille. J’ai fait un virage dans mes pratiques en 2014 où je suis passé à l’agroécologie. J’ai intégré les légumineuses dans mon système pour pallier le manque d’azote. Aujourd’hui ces cultures représentent 30 % de mon assolement. Sauf, que ces cultures n’étaient pas bien valorisées dans le schéma classique de collecte (coopérative et négoce) local. Sur ce constat, j’ai décidé de travailler la valorisation de mes productions. Et, en 2018, j’ai lancé une gamme de produits distribués en circuit court (épiceries, épiceries fines, magasins de producteurs, restaurants, restauration collective et consommateurs direct via le site web). En moyenne, je distribue via ces canaux approximativement 50 tonnes de production. »

Emballage de la production de Laurent HAYE

Pourquoi vous êtes-vous lancé dans la HVE ?

Laurent HAYE : « Lorsque j’ai imaginé mon atelier de production, il m’est apparu évident qu’il fallait que je trouve une distinction qui me permettrait de valoriser tous les efforts agroécologiques que j’avais mis en place sur mon exploitation. Naturellement, la HVE m’est apparue comme une solution car c’est la seule certification qui met en avant les efforts en matière de biodiversité. Compte-tenu des efforts que j’avais réalisés précédemment, j’ai obtenu la certification assez facilement. Avec cette certification, je peux me distinguer des autres producteurs. Je dois vous avouer que la certification n’était pas connue au départ : j’ai dû faire beaucoup de pédagogie et expliquer les évolutions de mes modes de production. Maintenant, mes distributeurs adhèrent à ma démarche et ils arrivent à expliquer à leurs clients le contenu de la certification. »

Est-ce que la certification a été un challenge ?

Laurent HAYE : « Non, pas spécialement. Il faut dire que j’étais très mature sur les sujets agroécologiques car j’étais déjà dans une logique de réduction d’intrants avant mes recherches sur la HVE. Lorsque j’ai débuté le processus de certification, mes IFTs (indice de fréquence de traitement) étaient déjà très faibles. Aussi, j’étais dans une logique de non-travail du sol, d’implantation de couverts végétaux qui piègent le carbone, j’avais mis en place pas mal de mesures agroenvironnementales, etc. tout cela amène des points pour l’obtention de la certification. Au niveau de la fertilisation, j’utilise beaucoup les composts, j’implante des couverts végétaux puis l’intégration des légumineuses dans mon assolement m’ont permis d’attendre les objectifs assez facilement. Pour finir, sur le sujet de l’irrigation, étant donné que je n’irrigue pas, je ne suis pas concerné par ce thème. »

Concrètement, pourriez-vous détailler quelques pratiques que vous avez mis en œuvre ?

Laurent HAYE : « Pour la thématique phytosanitaire, premier gros sujet, les insecticides : je n’utilise plus d’insecticide. Je fabrique des macérations de plantes à base d’ail ou de clou de girofle, par exemple. L’objectif n’est plus de tuer les ravageurs mais de les repousser. Pour développer ces nouvelles pratiques, je me suis formé auprès d’experts qui m’ont aidé à franchir des étapes dans mon processus d’évolution. Autre sujet, les régulateurs de croissance : en arrêtant de travailler le sol, je me suis rendu compte que le problème de la verse des céréales était beaucoup moins présent. Du coup, j’ai pu éliminer les raccourcisseurs. Avec le recul, pour pouvoir gagner des points, il faut prendre quelques risques et faire évoluer ses pratiques sinon cela peut s’avérer plus compliqué. Autre culture, autre problème : le colza. Il y a beaucoup d’insectes nuisibles sur cette culture à l’automne. Pour lutter, nous avons dû réorganiser notre matière de travailler : nous faisons des semis beaucoup plus précoces pour s’assurer d’avoir une plante plus développée et résistante lors des vols des ravageurs. Il faut faire évoluer ses pratiques, il faut observer et tester des choses jusqu’à trouver une solution qui nous semble acceptable. Il faut plusieurs années pour atteindre une forme de maturité et de bonne compréhension. »

Économiquement, est-ce que cela a été difficile de franchir le cap ?

Laurent HAYE : « Le passage en agroécologie n’a pas été complexe techniquement et je n’ai pas été déstabilisé financièrement. Par contre, l’intégration de nouvelles espèces et notamment les légumineuses a été une prise de risque. Les premières années ont été plus chaotiques. J’ai débuté avec un hectare, la première année, pour comprendre et au fur et à mesure j’ai augmenté crescendo pour acquérir de l’expérience avec ces cultures-là. Il faut accepter d’y aller tranquillement, sans brûler d’étape et monter en puissance sur 5 ans, par exemple. Pour moi, aller plus vite est une prise de risque. Si vous avez de la trésorerie, vous pouvez accélérer l’apprentissage mais je trouve dommage de brûler de l’argent sur une erreur de gestion : il faut accepter que les changements en agriculture s’inscrivent sur un temps long. »

Que pensez vos parents et vos voisins lorsqu’ils vous ont vu modifier vos pratiques et assolement ?

Laurent HAYE : « Certains voisins ont vite pensé qu’il y aurait une ferme à reprendre prochainement ! (rires) Je pense que beaucoup de personnes ont pensé que je faisais n’importe quoi. Mes parents étaient un peu inquiets car ils n’avaient pas de références comparatives, j’avançais à tâtons. Les partenaires financiers ont eu tendance à être inquiet aussi, il a fallu les rassurer et expliquer la démarche, le nouveau modèle économique : l’absence de référentiel a tendance à tendre un peu tout le monde. En plus, la notion de vente directe était une aussi inconnue pour eux. Il faut se préparer aux vents contraires quand on se lance dans une démarche différente du « standard ». Par exemple, en matière de trésorerie, j’ai dû réinjecter l’argent gagné au fur et à mesure pour financer le développement de mes pratiques. Je ne pouvais pas compter sur un quelconque soutien. Maintenant, tout le monde est rassuré, tout va bien, mais au départ les choses ont eu tendance à se cristalliser. »

Au final, êtes-vous satisfait du parcours réalisé ?

Laurent HAYE : « Très clairement, je suis très fier du parcours réalisé et plus encore par mon atelier de production et de valorisation en circuits courts. Pouvoir rencontrer mes distributeurs et mes clients, expliquer ma manière de produire, mes réussites et mes échecs, etc. est extrêmement valorisant pour nous, producteurs. Je suis très satisfait de l’évolution de mon métier sur ces points-là. De plus, d’un point de vue économique, je me trouve être plus serein car je ne suis pas lié à l’évolution des prix des commodités agricoles. Je suis déconnecté du marché international et des contextes géopolitiques, j’ai beaucoup plus de visibilité sur la gestion de mon entreprise. J’ai le sentiment d’avoir la main. »

Merci Laurent pour ce témoignage plein de pudeur mais ô combien pertinent ! En route pour la Bretagne à la rencontre de Bruno.

Bruno CALLE

M. Bruno CALLE, pourriez-vous vous présenter et nous dire quelques mots de votre entreprise ?

Bruno CALLE : « Tout d’abord, je suis associé, avec 2 autres personnes, dans la SCEA des Moulins de KEROLLET. Nous sommes producteurs de lait avec un plus de deux millions de lait produit par an. Nous sommes en train de robotiser notre atelier de lait : alimentation, traite, etc. On travaille un peu plus de 250 ha aujourd’hui avec 150 ha de maïs, 30 ha de luzerne, 20 ha de prairie et le reste de la surface est dédiée aux cultures de légumes : petit pois, flageolets, haricots et carottes. En plus, à côté, nous avons développé un atelier d’énergie renouvelable qui produit 850 KW, dont 50 KW en autoconsommation, et un atelier de méthanisation qui produit 750 KW. Et pour finir, nous avons un atelier de bois dans laquelle nous fabriquons 30 000 m3 de plaquettes par an. Ces activités ont du sens les unes avec les autres car grâce à la chaleur de la méthanisation, nous séchons notre foin en grange et nous augmentons substantiellement la qualité de notre fourrage puis, toujours avec cette même chaleur, nous séchons les plaquettes de bois pour servir certains marchés. »

Dans ce lot d’activités chronophages, pourquoi se lancer dans la HVE ?

Bruno CALLE : « Je dois revenir 10 ans en arrière pour expliquer notre démarche car l’idée est née du méthaniseur car grâce à lui nous n’avons plus acheté d’engrais minéral. En effet, nous avons totalement substitué le minéral par de l’organique. Ensuite, nous nous sommes attaqués au sujet du désherbage et nous avons investi dans une herse étrille et bineuse… A un moment, nous pensions maîtriser notre sujet et, lorsque notre montage de méthanisation a été opérationnel, nous nous sommes posés la question de passer en BIO et nous avons participé à une réunion de présentation d’un atelier de production de lait BIO à proximité de chez nous chez un agriculteur en cours de conversion. Quand nous sommes arrivés à la formation, nous avons été surpris par le nombre de personnes présentes car il y avait plus de 80 personnes. Dans ces personnes, nous avons croisé certains de nos voisins qui ont d’importantes productions, un grand esprit d’initiative et un niveau technique très élevé et ça, cela été un électrochoc ! Des fois dans la vie, les décisions sont prises à l’unanimité et en quelques secondes : nous nous sommes dit que si seulement 50 % des personnes présentes passaient en BIO, on aurait un problème d’équilibre entre l’offre et la demande. L’histoire a montré que nous avons eu raison d’avoir peur et de ne pas nous lancer dans le lait BIO. En 2016, lors du salon de l’agriculture, la HVE a été présentée et nous avons été intéressés car ce positionnement représentait pour nous un nouveau segment de marché entre le BIO et le « conventionnel ». Et, dans un secteur comme la Bretagne, où nous n’avons pas d’AOC ou d’AOP, nous avons été séduits par cette certification qui nous permettait de nous distinguer. A la suite EGALIM et la montée en gamme, nous a conforté dans notre choix. Malheureusement, localement, notre coopérative nous a fait une fin de non-recevoir : malgré notre bonne volonté et nos arguments, dans l’organisation de la coopérative, peu de personne voyait un intérêt à cette certification. De la même façon, nous avons sollicité BIGARD qui nous achète nos vaches de réforme : la réponse a été la même. Personne, à ce stade, ne voyait un segment de marché s’ouvrir entre les 2 modes de production BIO et « Conventionnel ». Par contre, la CECAB, maintenant EUREDEN (nait de la fusion entre TRISKALIA et CECAB), avec l’activité DAUCY, percevait un vrai intérêt à la HVE. Fort de cette intention, nous nous sommes lancés et nous avons été parmi les 8 premières exploitations laitières à être certifié HVE niveau 3. Cela fait 2 ans maintenant.

Comment avez-vous opéré la transformation vers la HVE ?

Bruno CALLE : « Très honnêtement, nous n’avons pas fait de très grandes modifications dans nos systèmes de production. En fait, lorsque nous avons fait le premier audit, nous nous sommes rendus compte que nous étions dans le référentiel. A cela plusieurs explications. Au niveau de la gestion de l’irrigation, nous étions de nouveau irrigant donc il a été assez facile de rentrer dans le cadre des objectifs de la HVE. Sur la partie fertilisation, dans la mesure où le méthaniseur fonctionnait, il n’y avait pas d’achat d’engrais minéral donc il a été très facile d’obtenir des points sur ce critère. Sur la partie phytosanitaire, nous pratiquions les désherbages mécaniques depuis quelques années donc nos IFTs étaient bien en deçà de la moyenne régionale. Aussi, pour les autres applications phytosanitaires, nous sommes très vigilants aux conditions et nous travaillons très souvent à des tiers de dose ou parfois moins. Cela demande un plus grand pilotage des seuils d’intervention et une plus grande maitrise du timing de l’intervention pour que les conditions d’application soient les meilleurs. Et, en ce qui concerne le thème de la biodiversité, notre paysage bocager de Bretagne avec de petites parcelles entourées de haies, nous a permis de répondre assez facilement aux objectifs fixés par la certification. Il n’y a donc pas eu de révolution dans notre ferme, nous avons mis en place des pratiques plus vertueuses avant la certification : la HVE a mis en valeur tous les efforts que nous avions fournis précédemment. 

Bruno CALLE : « Premièrement, la pression sociétale est là, nous devons en tenir compte. Nous ne pouvons plus travailler comme nos parents et encore moins comme nos grands-parents. Cela fait 20 ans que je suis installé, j’ai vu les quantités d’intrants achetés diminuer au fil des années. Nous ne pouvons pas faire l’autruche, nous devons nous mettre en mouvement sur ces sujets-là. Ensuite, le monde agricole doit accepter de ne plus regarder le rétroviseur et parler du « c’était mieux avant ». Il faut que nous nous remettions en cause et imaginer un mouvement par l’entrée économique : réduire les intrants, c’est aussi augmenter les marges, développer son EBE et il en reste toujours un peu plus dans la poche. Et, pour finir, il faut que le maillon transformation joue le jeu : notre coopérative fait en moyenne 1/3 de ses volumes en GMS (grandes et moyennes surfaces), 1/3 en RHF ou RHD (restauration hors foyer ou hors domicile) et 1/3 à l’export. Très clairement, si sur le marché français la demande va vers plus de qualité, nous devons développer la gamme HVE qui est garante d’une production française et de qualité et ainsi limiter les importations dont on ne connaît pas toujours le processus de production. Voilà ma vision ! »

Avec votre expérience, avez-vous réussi à valoriser votre certification ?

Bruno CALLE : « Il faut être clair, pour l’instant, la démarche est intellectuelle. Si, je dois avoir un jugement de comptable, je vous dirai que cela me coûte plus que cela ne me rapporte dans la mesure où nous n’avons toujours pas une meilleure valorisation de notre production. D’après les discussions que j’ai avec DAUCY, une nouvelle gamme va arriver et devrait être un peu mieux valorisée pour le producteur. Nous parlons de quelques centimes par bocal. De toute façon, tant que la HVE ne sera pas mieux connu et comprise, il va être difficile d’obtenir une meilleure valorisation. »

Du coup, êtes-vous frustré ou satisfait ?

Bruno CALLE : « Nous sommes fiers du travail accompli et des progrès que nous avons effectué en l’espace d’une décennie. Pour être concret, à l’entrée de la ferme, nous avons érigé le logo HVE sur un panneau de 2 m par 2 m. L’objectif est que chaque visiteur qui rentre dans la ferme voit le logo et s’interroge sur notre vision autour de la certification. C’est notre contribution à l’augmentation de la notoriété de la HVE et à susciter de l’intérêt et du questionnement pour nos collègues agriculteurs. Mais, attention, il ne faut pas que la HVE devienne un standard, une obligation. J’aime bien la loi des 80/20 : 20 % de la production en HVE me semble être un bel objectif pour obtenir une récompense des efforts réalisés. Si nous devons banaliser ces efforts, je suis certain qu’ils ne seront jamais valorisés. »

Bravo à tous les deux et longue vie à vos esprits d’entrepreneur !