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Comment créer de la valeur avec la HVE ?

Au-delà des grands discours et des grands principes, la valorisation des productions issues d’une agriculture certifiée HVE est la question que tout le monde se pose sans y trouver une réponse toujours très claire. L’empilement de nouveaux coûts pour accéder à la certification n’est maintenant un secret pour personne. La difficulté à trouver des exemples de filières organisées avec une valorisation construite démontre à quel point nous sommes au départ de quelque chose dont le chemin reste à construire. Le projet est enthousiasmant mais les contours du modèle économique sont en chantier : certification obligatoire pour accès au marché des commodités agricoles ? Introduction de tout ou partie de la certification HVE dans les éco-régimes de la prochaine PAC ? Valorisation des productions certifiées au regard des nouvelles valeurs environnementales délivrées au marché ? Tout le monde s’accorde à dire que les exigences de la certification HVE doivent générer de la valeur économique mais le marché est-il prêt à payer ? 

A défaut d’avoir une réponse claire et précise sur ces interrogations, nous partons à la rencontre de personnes qui fabriquent, qui expérimentent, qui testent la certification HVE, qui défendent le processus et qui essayent de construire le modèle économique de la HVE. Pour cet épisode, M. Ghislain LEPRINCE de GAYA CONSULTANTS précisera sa vision de la valorisation de la HVE. Puis, Mme Pauline HIEN, Chef de projet au sein du Pôle Coopérateurs de TEREOS, en charge du développement de pratiques agricoles durables, nous dévoilera les projets de développement de TEREOS au sujet de la HVE.

M. LEPRINCE, est-ce que finalement la certification HVE ne va pas devenir une obligation pour avoir accès au marché ?

Ghislain LEPRINCE : « Très clairement, chez ECO-PHYT’, nous ne voulons pas attendre parler de ce « droit au marché » dont le principe serait de développer de nouvelles exigences environnementales non rémunérées. Nous devons nous interdire de présenter la HVE comme ça. Après avoir dit cela, où en sommes-nous ? En céréales, nous n’avons pas de valorisation en tant que telle. L’idée serait plus de négocier une rémunération auprès des moulins. C’est ce que nous mettons en œuvre actuellement chez ECO-PHYT’, nous allons démarcher des moulins pour expliquer notre positionnement de production. Il s’agit d’une première étape. D’après les premières discussions que nous avons, qui ne sont pas abouties à date, nous pensons pouvoir aller chercher une valorisation de l’ordre de 20, 30 voire 40 € HT/T. En ce qui concerne la pomme de terre, nous avons deux partenaires : MC CAIN et VITALIS. VITALIS a annoncé une première valorisation qui serait de l’ordre de 10 %, par rapport au prix « conventionnel », pour les contrats HVE. MC CAIN n’a pas encore fait de proposition mais nous savons qu’un de leur client est en train de se positionner sur le sujet de la HVE : MC DONALD’S. Le jour où MC DONALD’S se positionnera, il y aura une exigence de production pour MC CAIN et bien entendu pour les producteurs. La clé est le marché : si le marché reconnait ce Label, il sera évidemment plus facile de valoriser les efforts de production.

Dans cette expectative de valorisation, que devez-vous faire ?

Ghislain LEPRINCE : « Pour nous, nous ne pouvons pas faire attendre l’agriculteur sur des sujets de valorisation. Nous travaillons sur le label BAS CARBONE qui permet de valoriser d’ores et déjà les évolutions de pratiques réalisées dans les exploitations agricoles. Et cela, nous pouvons le faire rapidement en partenariat avec les filières car elles sont en attente de communication sur ce sujet. »

La coopérative TEREOS est un des partenaires industriels de l’initiative ECO-PHYT’. A ce titre, la coopérative est au cœur de la transformation agro-écologique souhaitée par le marché. Nous allons faire un point avec Mme Pauline HEIN sur l’intérêt et les initiatives de TEREOS pour la HVE.

En quelques mots, pourriez-vous nous présenter TEREOS ?

Pauline HIEN : « TEREOS est une coopérative agricole qui rassemble environ 12 000 associés coopérateurs. Nous intervenons sur la transformation de matière première comme la betterave et la pomme de terre mais aussi la luzerne, le blé, le maïs, la canne à sucre et le manioc. Nous sommes présents dans 18 pays au travers de 48 sites industriels. La coopérative emploie 23 000 collaborateurs. Via la transformation de ces matières premières, nous sommes devenus des leaders dans la production du sucre, de l’alcool et de l’amidon et nous sommes présents sur les secteurs de l’alimentation, de la santé et des énergies renouvelables. Sur la campagne passée, notre chiffre d’affaire avoisinait 4,3 milliards d’euros. Nous avons deux segments de marché : le B TO B, avec les clients transformateurs et, le B TO C, avec les clients consommateurs, avec des marques parmi les plus connues comme BEGHIN SAY, BLONVILLIERS et LA PERRUCHE.

Pourquoi vous êtes-vous intéressés à la HVE ?

Pauline HIEN : « Chez TEREOS, nous avons toujours été soucieux de nous engager dans la transition agro-écologique et aussi sur la valorisation des bonnes pratiques mises en œuvre par les agriculteurs coopérateurs. Sur la base de ces deux objectifs, nous avons étudié les certifications ou reconnaissances existantes qui pouvaient correspondre à nos exigences. La HVE nous est apparue intéressante car elle est basée sur les 4 piliers de la production : biodiversité, stratégie de protection phytosanitaire, stratégie de fertilisation et gestion de l’eau. Aussi, la particularité de la HVE, à la différence d’autres labels, est qu’elle est à l’échelle de toute l’exploitation. Les efforts ne sont pas centrés uniquement sur un atelier de l’exploitation mais sur toute l’exploitation ! Fort de ces premières réflexions, nous avons décidé d’intégrer l’association HVE BEAUCE VAL DE LOIRE, qui travaille pour le développement de la HVE dans la région, pour en savoir beaucoup plus sur cette certification : le processus de certification, les marchés, le référentiel, etc. Et, en parallèle, nous avons rencontré des agriculteurs coopérateurs déjà certifiés dans la région d’ARTENAY (45).

Concrètement, à quel moment la coopérative TEREOS s’est lancée dans la HVE ?

Pauline HIEN : « En 2020, nous avons décidé de lancer une campagne test avec une quinzaine d’agriculteurs certifiés HVE et une surface avoisinant les 450 ha de betteraves. L’idée était de monter une campagne pilote avec un premier lot de sucre. Ce pilote est destiné à tester les marchés B TO B et B TO C. Pour le B TO C, nous avons utilisé la marque BEGHIN SAY avec deux types de produits : le sucre en poudre et le sucre en morceaux. Nous avons donc monté une filière HVE, isolée des autres productions, dans nos usines, avec des règlements stricts pour garantir un sucre à 95 % d’ingrédients HVE comme l’impose le label HVE. Au niveau industriel, ce test a été un défi pour notre organisation car à tout moment du processus de production, de transformation et de stockage nous avons dû garantir le respect de la réglementation. D’ailleurs, dans les producteurs de sucres, nous sommes les premiers à avoir monter un tel développement industriel et commercial pour évaluer la pertinence de la certification HVE.

Comment cette nouvelle offre a été reçue par votre clientèle ?

Pauline HIEN : « Quand nous avons présenté notre initiative à nos clients, nous avons précisé que la HVE était une troisième voie entre l’agriculture dite « conventionnelle » et l’agriculture dite « biologique ». Au niveau du B TO C, nous avons eu un très bon accueil de la grande distribution. Mais, malheureusement, nous ne pouvons que constater que le label HVE est méconnu des consommateurs et souffre d’un manque de notoriété. Nous avons développé un packaging différencié pour que cette gamme de sucre sorte un peu du lot. Nous avons choisi d’habiller nos packagings de la couleur orange avec le logo HVE, d’y apposer des informations sur les nouvelles méthodes de production. Nous y avons aussi apposé un QR CODE qui renvoie vers une page explicative avec une vidéo pédagogique présentant la HVE.

Au niveau des clients B TO B, nous avons constaté qu’à date, ils ne sont pas particulièrement intéressés par cette filière. Nous avons deux explications. La première est que toutes les filières n’ont pas encore développé une gamme HVE et qu’il est difficile pour un transformateur de proposer un produit fini à 95 % HVE alors que les ingrédients de la recette ne sont pas tous HVE. En disant cela, je pense notamment aux filières animales (œufs, lait, etc.), mais pas seulement, qui n’ont pas encore de gamme suffisamment large pour répondre aux besoins des ateliers de transformation. A ce jour, il s’agit d’un véritable frein au développement pour les clients B TO B. La deuxième est que, pour les clients B TO B, le label HVE n’est pas connu et peu compris par les utilisateurs et les consommateurs.

Pour autant, les équipes commerciales de TEREOS sont mobilisées pour trouver des déboucher à notre production HVE. Nous avons, par exemple, organisé des réunions avec nos clients transformateurs et grande distribution avec des agriculteurs certifiés HVE pour expliquer les nouvelles méthodes de production mises en œuvre. L’idée était de démystifier la HVE et de compenser le déficit de notoriété de ce label.

Du coup, avez-vous écoulé toute la production 2020 ?

Pauline HIEN : « A date, je dois vous dire que non. Nous continuons de chercher des débouchés pour cette gamme. La demande n’est pas là et le label HVE est trop peu connu mais, pour autant, nous ne baissons absolument pas les bras. »

Quelle pourrait être l’élasticité de prix pour cette nouvelle gamme ?

Pauline HIEN : « Depuis le début, nous avons positionné cette offre entre l’agriculture « conventionnelle » et « biologique ». La véritable élasticité de prix se situe dans cette fourchette mais il est vraiment prématuré d’en discuter aujourd’hui tellement que la certification HVE est peu connue et ne présente pas une attractivité suffisante auprès des consommateurs et des industriels. Le préalable au développement de cette offre sera une communication informative et pédagogique sur la HVE, sans ça, son développement sera chaotique. »

Et pour 2021 et 2022 ?

Pauline HIEN : « Nous continuons nos efforts sur cette thématique et nous développons avec les agriculteurs coopérateurs et sur notre ferme expérimentale des alternatives nouvelles pour diminuer l’impact de l’acte de production agricole sur l’environnement. Nous poursuivons notre partenariat avec l’association HVE BEAUCE VAL DE LOIRE et nous sommes partie prenante dans le GIEE (Groupement d’intérêt économique et environnemental) ECO-PHYT’ qui travaille notamment sur la réduction des IFTs, point majeur de la certification HVE en grandes cultures. D’autre part, nous proposons un diagnostic HVE aux agriculteurs qui s’interrogent sur la certification. »

Allez-vous augmenter vos surfaces et votre production ?

Pauline HIEN : « C’est le marché qui va dicter et positionner les curseurs au bon endroit. Les deux sont liés. Si nous devons comparer avec le BIO, le label est connu, le marché est construit, nous voyons clairement les évolutions du marché et la production à réaliser. En ce qui concerne la HVE, tout est à faire. C’est un travail de longue haleine. La communication sur le label n’est pas au rendez-vous. Tant que la HVE ne sera pas expliquée, tant qu’elle ne sera pas connue, tant que ses intérêts ne seront pas reconnus, son développement commercial sera difficile. »

TEREOS est une entreprise internationale, quel est le regard des autres pays sur cette initiative ?

Pauline HIEN : « Pour l’instant, on est focus franco-français. La certification HVE est déjà peu connue en France alors difficile de développer des marchés chez nos voisins.

Merci à tous les 2 pour la transparence des propos et pour les efforts réalisés pour développer le modèle économique de la HVE. Maintenant, prêtons-nous au jeu des propositions qui permettront d’améliorer les conditions de développement de la HVE en France :

La proposition de Ghislain LEPRINCE :

Lancer une campagne de communication sur l’HVE en collaboration avec le ministère de l’agriculture

La proposition de Pauline HEIN :

Organiser des journées pédagogiques, entre agriculteurs et consommateurs, sur le sujet des changements des pratiques agricoles dans le cadre de la certification HVE